Il existe des rencontres qui, sans qu’on le ressente tout de suite, sans qu’on en mesure le sens, ont un impact dans nos vies. On dit qu’il y a des personnes que l’on croise, que l’on connaît à peine, qui vous disent un mot, une phrase, vous accordent une minute, et changent le cours de votre vie. La rencontre entre Anne Plantagenet et Letizia Storti est de celle-ci.
Elles se rencontrent sur le tournage du film « En guerre » de Stéphane Brizé. L’auteure remarque tout de suite cette femme qui bouscule pour être au premier rang, qui porte le combat en elle, qui se distingue par quelques traits de coquetterie, lunettes cerclées de bleues, mèches colorées encadrant son visage, variation de couleurs au gré des rencontres.
D’un mail à une après-midi passée ensemble à parler engagements, vie, travail, à se remémorer des souvenirs de tournage, à se confier comme deux amies le feraient.
Et des échanges qui perdurent par des messages, des photos envoyés, des vœux partagés. Des messages espacés par des semaines ou des mois. Des messages qui maintiennent le lien sans trop dévoiler du quotidien.
De l’ombre à la lumière, les mots d’amitié de l’auteure nous dessinent le visage de cette femme, à la vie loin des tapis rouges et redonnent vie à une anonyme.
Le portrait d’une femme et des femmes anonymisées de la société qui se battent pour les droits, pour protéger leurs collègues, pour garantir les droits sociaux. Le témoignage d’une femme engagée, pétillante que la déshumanisation du monde du travail a effacé peu à peu.
Une femme combative qui s’éteint peu à peu face à la jalousie des autres, à la dégradation des conditions de travail, à la violence de sa hiérarchie. Humiliation, harcèlement, brutalité. Le pétillant s’estompe, les mèches colorées disparaissent et la souffrance prend place.
Un film qui résonne avec le quotidien réel de Letizia. La routine des gestes. Le rendement de plus en plus poussé. Le combat de plus en plus acharné. La suppression des postes. La délocalisation pour augmenter les profits. La vraie vie côtoie le septième art.
Un récit poignant, plein d’humanité et d’empathie. Un hommage touchant.
De la figuration, en passant par Cannes. De la femme ouvrière à deux scènes sur grand écran. De la femme engagée au récit d’une vie. De la femme visible à la femme invisible, il ne manque qu’un film. Le sien.
Les passages du livre qui m’ont touché :
« Bientôt qui se souviendrait d’elle ? Une femme, une ouvrière, sans voix, sans visage, indistincte parmi la masse des figurants. »
« C’est presque du théâtre, il y a réunion, suspension, etc., c’est à l’usure, un jour on a fini à la bougie. On défend les collègues, on ne monte pas pour soi. Avec l’âge, j’ai appris à tempérer, ça ne sert à rien de foncer tête baissée, il faut réfléchir. Malgré tout, on a moins de syndiqués, ou alors les gens prennent la carte un an ou deux quand ils ont un problème avec le patron et après on ne les revoit plus ! C’est dommage, parce qu’il faut continuer de se battre pour garder ce qu’on a acquis. »
« C’est impressionnant. On la voit, on ne la voit pas, et ce n’est pas lié à sa présence réelle ni à sa volonté. Letizia Storti ne contrôle pas cela. Enfin, je crois. Il me semble qu’elle ne décide pas des moments où elle existe aux yeux du monde, ni de ceux dont elle est absente (…) »
« Ça s’arrête là, sur cette silhouette noire, comme le négatif d’une photographie non développée, un contrechamp sans champ. »
Et vous, quel passage vous a parlé ?
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