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« Houris » de Kamel Daoud aux éditions Gallimard




Aube est née deux fois. Une première fois dans son village, au milieu de ses parents et de sa grande-sœur. Une seconde fois, à 5 ans, dans une ambulance auprès de sa mère adoptive.


Aube a perdu sa voix. Elle ne peut plus s’exprimer. Alors, c’est avec sa voix intérieure qu’elle nous offre son histoire.


Ses cordes vocales ne vibrent plus et pourtant un cordon la relie à l’enfant qu’elle porte en elle. Sa fille. A elle, sa voix parle. A elle, elle lui conte ses colères, la haine qu’elle subit, les injustices qu’elle ne peut crier.


Posant ses mains sur la légère proéminence de son ventre, elle va confier à son enfant son passé pendant la guerre civile ; son présent auprès d’une mère avocate qui se bat pour qu’elle retrouve l’usage de la parole ; son absence d’espoir.


Dans son pays, où on condamne quiconque évoque la guerre civile, Aube en porte les stigmates. La violence de ces années est marquée sur son corps. Une cicatrice reliant chacune de ses oreilles. Un sourire plaqué en permanence sur elle, pour se moquer de l’absurdité de la situation, des lois qui calfeutrent l’histoire, de la violence des hommes qui tentent de se racheter dans la religion.


Dans son pays, où les interdictions pour les femmes sont nombreuses, Aube porte son pantalon fièrement et ouvre chaque jour avec la tête haute son salon de coiffure. Ce lieu qui accueille les confidences des femmes, qui les dorlote, qui les rend belles. Ce lieu méprisé par les hommes. Ce lieu refuge pour les femmes.


Entre les contradictions imposées et celles que s’impose Aube, la jeune femme s’interroge sur la possibilité de donner la vie quand la sienne lui a été ôtée à 5 ans.


Alors, elle raconte, elle pose les mots tus. Elle choisit minutieusement ses mots pour se libérer du poids qu’elle porte, des secrets imposés, pour faire son deuil, pour avancer. Et tout en parlant, elle quitte Oran pour le village de son enfance. Elle retourne où l’horreur s’est déroulée, où sa vie a été amputée, où sa voix a disparu, où elle a renaît.


De la luminosité, une écriture maîtrisée et quelques piques bien choisis pour raconter ce qui est tu, pour ouvrir à la réflexion, pour se laisser toucher par ce lien entre cette mère et sa fille.


Un roman majestueux où cette voix nous guide, nous entraîne avec elle sur des actes tus. Un roman qui parle des voix et qui nous laisse sans voix.


Les passages du livre qui m’ont touché :


« Je m’entortille dans les airs, asphyxiée par le nombre infini de pages que j’ai en moi, que le silence m’a fait fabriquer en deux décennies et que je n’arrive jamais à lire à haute voix. »


« De vraies cordes comme celles d’un puits, des cordes comme celles des pêcheurs, des cordes de cirque, des cordes de jongleur ou de trapéziste, (…) Quand tu ajoutes « vocales », elles vibrent, elles font onduler l’eau et les murs. »


« T’entendre, te voir rire avec les dents du soleil et te serrer pour retrouver mon propre corps et t’aimer pour que les deux langues deviennent une seule qui ne s’arrêtera pas de conter. »


« Kalthoum est ma langue, ma voix : chaque mot sera choisi par elle avec soin, par jeu, au hasard, dans les levers de soleil ou la mer, mais avec la précision qu’il faut lorsqu’on nomme les choses pour la première fois. »


Et vous, quel passage vous a parlé ?

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