L’auteure aime écrire, c’est tout naturellement qu’elle s’oriente vers le journalisme. Elle s’imagine reporter, comme les héros balzaciens ou journaliste à la Loïs Lane. Sa plume servira à changer le monde. Les désillusions arrivent très vite.
Au sein de la rédaction qui l’emploie, elle ne dénoncera pas les scandales politico-financiers. Elle est plutôt là pour parler taux d’intérêt, rendement, épargne et produits de placement. Le sujet est imposé. Aucune liberté dans les articles et leurs thèmes.
En bon soldat, elle s’applique et lit les rapports d’une cinquantaine de pages fournis par des organismes bancaires. Elle écoute tout en rêvassant les attachés de presse, vanter tel ou tel produit et les futures croissances. Puis, le soir, elle dévore roman et poésie. Les mots remplacent les chiffres, les intrigues, les rapports assommants.
Elle renoue alors avec les mots et plonge dans ses rêves. Elle renoue avec cette envie d’écrire qui l’animait plus jeune. Elle voyage dans sa vie rêvée et côtoie son double, la femme qu’elle aimerait avoir le courage d’être, celle qui écrit des articles passionnants, celle qui s’affirme face à d’imposants rédacteurs en chef, elle qui conquiert le monde. Son double écrira reportages et livres prestigieux, elle continuera à prendre des notes dans des cahiers Conquérant en interviewant les femmes et les hommes qui animent le paysage économique et financier.
Avec du recul, l’auteure revient sur ses années de journalisme pour la presse économique et replonge dans ses notes passées. Elle raconte les thèmes imposés, l’absence de liberté dans ses articles. En ouvrant ses cahiers, elle renoue avec la jeune femme qui à la fin de ses études avait des rêves et beaucoup de principes. Elle montre qu’au fil des années, elle a étouffé les valeurs qui l’animaient pour rester dans le rang et conserver son poste. Dans ses mots, l’auteure propose une analyse fine du journalisme actuel et montre certaines de ses limites.
Relire ces notes, c’est aussi l’occasion de parler des rêves et du double qui marche à nos côtés tout en vivant la vie rêvée ; d’oser rêver grand ; de se libérer des injonctions et devenir son double.
Un essai passionnant et enrichissant.
Les passages du livre qui m’ont touché :
« Cette duperie, ou ce recul, cette distance entre notre vie vécue et l’autre, vaguement rêvée, à peine imaginable, bref, cet espace entre nous et nous-mêmes, de quelque façon qu’on l’appelle, cela fait notre histoire, la seule qui nous appartienne vraiment. »
« D’une part, d’autre part. D’une part, j’écris des articles. D’autre part, je pense et ressens. Au journal, ces deux activités ne se rencontrent pour ainsi dire jamais. »
« Je crois devenir à mon tour un étrange personnage en clair-obscur. Ceux qui assurent que c’est bien ainsi, que le partage est bel et bon, qu’en somme tout est en ordre – le boulot d’un côté, la culture de l’autre ; la nécessité d’une part, le plaisir d’autre part ; la carrière et le supplément d’âme ; la vie professionnelle et le jardin secret ; etc, etc. – ces figures rassurantes et sinistres qui opinent autour de moi, en moi je les fuis. »
« En vérité l’économie politique n’est pas très éloignée de la littérature fantastique, les deux disciplines manifestent chacune à leur façon une sensibilité exacerbée aux possibles – ce qui pourrait être, ce qui aurait pu être. »
« Je polis l’écriture autant que possible, oui, l’écriture magazine puisque c’est le genre qui m’est échu. Je travaille le rythme, je choisis les mots qui sonnent bien, j’élabore la construction avec soin, avec une fierté d’artisan. J’en retire une satisfaction minime, mais satisfaction tout de même. J’aime jouer les échos entre deux phrases, la contradiction discrète entre deux citations ; je crois pouvoir suggérer l’incohérence sans la désigner ouvertement. Ceux qui savent comprendront. »
Et vous, quel passage vous a parlé ?
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