
« « Tu as pris du pain ? smiley qui s’interroge », « N’oublie pas l’anniversaire de ma sœur », « Qui va chercher les enfants ce soir ? smiley qui hausse les épaules », « J’ai réservé pour 20h, ne soit pas en retard, smiley qui fronce les sourcils ».
Depuis l’arrivée des téléphones dans nos vies, nos vies sont ponctuées de sms. On a désormais délaissé le papier pour le clavier. Il n’y a plus de longues phrases, tout est concis et doit tenir en peu de mots et peu d’espace. C’est fini les correspondances enflammées des auteurs des siècles passés, nos correspondances à nous sont brèves et succinctes. Toute la journée, nous nous envoyons des sms mais des lettres ? Combien de lettres avons-nous reçu ces derniers mois ? Je ne parle pas des lettres des impôts, des relances ou des propositions d’assurance. Non, je parle des lettres d’amour. Plus jeune, on avait les cartes postales de vacances pour nos amoureux(ses) de la cour de récré, puis des lettres pour nos amoureux(ses) de vacances, même ces cartes sont en voie de disparition, tout comme les cartes de bonne année, il ne reste plus que nos vieilles tantes pour perdurer la tradition. Alors, les lettres d’amour, c’est carrément devenu obsolètes.
« Deux êtres qui s’aiment ont à conquérir leur amour, à construire leur vie et leur sentiment ». Voilà les mots d’amour d’Albert Camus à Maria Casarès. Quinze ans d’amour, plus de huit cents lettres. Qui dit mieux ? Qui peut se vanter d’avoir échangé 865 lettres d’amour (les sms ne comptent pas) ? Qui a échangé plus de lettres que ces deux amoureux qui s’écrivent : « Tu es entrée, par hasard, dans une vie dont je n’étais pas fier, et ce jour-là, quelque chose a commencé de changer. J’ai mieux respiré, j’ai détesté moins de choses, j’ai admiré librement ce qui méritait de l’être. ». Ces mots font vibrer et donnent des frémissements. Ils ont surtout plus de classe que les interpellations verbales vantant nos attributs ou ces phrases dites et redites par des dragueurs amateurs qui nous font lever nos yeux au ciel et briser les fameux diamants que nos pères auraient volé.
Tu me manques, cela fait trois mots à écrire, cela fait plusieurs paragraphes dans les lettres d’Albert Camus et de Maria Casarès. « J’attends vendredi et l’éclat du soleil et de la mer dans tes bras chauds. J’attends et recommence sans cesse ma joie jusqu’à vendredi. » La lenteur du temps, l’ennui, chaque chose anodine est racontée pour passer les heures séparant les deux amants.
Ecrire pour ne rien dire. Ecrire pour pallier le manque de l’autre. Ecrire pour conter un quotidien insignifiant, juste raconter sa journée, aussi banale fut-elle. Ecrire pour se dire je t’aime. Juste des mots sur un quotidien à deux, sur les premiers pas, les doutes, les disputes, les souvenirs et les projets. Juste écrire et se confier, raconter l’intime, poser des mots.
Des premières lettres d’un amour maladroit, des doutes, des longs moments de séparations. Puis les lettres des années communes, des prémices des prochains projets, de l’amour intense et de l’intimité. Dernière lettre, derniers mots d’amour. Plus de mille pages d’une correspondance passionnée et passionnante. La plume maîtrisée et riche d’Albert Camus s’entremêle à celle plus lumineuse et incandescente de Maria Casarès.
« Je pensais à toi et je me sentais au bout du monde. » Ces quelques mots apportent plus d’émoi que le sms envoyé quelques minutes après avoir claqué la porte. Retrouvons nos plumes amoureuses et écrivons-nous. Posons des mots d’amour, de la sensualité et du désir sur du papier. Aimons-nous par lettres interposées. Allons, fouiller dans nos cartons d’enfant et ressortons le papier à lettres parfumé, le stylo coloré et le cœur sur les « i ».
Qui n’a pas rêvé de trouver glisser entre deux pages, des mots d’amour ? Qui n’a pas souhaité très fort sentir entre deux factures, un grain de papier un peu plus épais et une odeur un peu plus musquée ? Qui n’a pas eu envie de plier et replier une lettre qui donnait le rouge aux joues et les yeux brillants ? Alors, ce soir, oubliez les roses cultivées sous serre à l’autre bout du monde, le menu congelé à trois chiffres du resto au bout de la rue, les cœurs en chocolat fabriqués depuis trois mois. Ce soir, écrivez des lettres d’amour.
A vos plus belles plumes et belle Saint-Valentin à toutes et à tous.
Et parce que j’aurais pu corner une page sur deux, quelques passages relevés :
« Deux êtres qui s’aiment ont à conquérir leur amour, à construire leur vie et leur sentiment, et cela non seulement contre les circonstances mais aussi contre toutes ces choses en eux qui limitent, mutilent, gênent ou pèsent sur eux. »
« Nous allons prendre du temps, nous regarder, nous chercher, nous comprendre. Mais il y aura les autres moments, n’est-ce pas, le flot, la pluie de bonheur, la brûlure… »
« Tu es le point de départ de chacune de mes initiatives et l’aboutissement naturel de toutes mes impressions, et les hauts et les bas de mon état d’esprit de chaque moment de ma journée s’accouplait à la conscience plus ou moins grande que je prends de ton existence. »
« (…) je vis trois vies : la tienne, la mienne et celle, si émouvante, de notre amour. »
« La mer est devant toi. Regarde comme elle est lourde, dense, riche, forte ; regarde comme elle vit, effrayante de puissance et d’énergie, et pense que, par toi, je suis un peu devenue comme elle. Pense que quand je me sens sûre de ton amour, je n’envie point la mer d’être si belle : je l’aime en sœur. »
« Au revoir, mon amour. La mer devant moi est lisse et belle - comme ton visage parfois quand mon cœur est en repos. Te souviens-tu du dernier 14 juillet ? Celui-ci sera solitaire : je pense à Paris. Nous le détestons bien parfois, mais c'est la ville de notre amour. Quand je marcherai à nouveau dans ses rues sur ses quais, avec toi près de moi, ce sera la guérison d'une longue maladie - cruelle comme l'absence. Mais d'ici là, je reste tourné vers toi, avec autant d'anxiété que de joie, amoureux comme on dit. Mais l'amour que j'ai de toi est plein de cris. Il est ma vie et hors de lui, je ne suis qu'une âme morte. Soutiens-moi, attends-nous, veille sur nous et dis-toi bien que je t'embrasse chaque soir, comme je le faisais au temps du bonheur, avec tout mon amour et ma tendresse. »
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