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"Les Filles d'Egalie" de Gerd Brantenberg aux éditions Zulma



J’ai eu un coup de cœur pour ce roman paru en 1977 en Norvège et traduit pour la première fois en français. Avec lui, je suis sortie de ma zone de confort, mais n’est-ce pas l’une des fonctions d’un livre?


L’idée de ce livre est venue à Gerd Brantenberg vers 20 ans, face aux inégalités, aux interdictions (participer à un festival de ski ou devenir conductrice de trains) et aux violences que connaissaient les femmes en Norvège.


En Egalie, société matriarcale, ce sont les femmes qui sont au pouvoir. En Egalie, pas de députés, mais des députettes. Les femmes portent les enfants, leur donnent la vie, elles sont donc naturellement supérieures. Elles exercent les métiers prestigieux et dirigent les entreprises et institutions. Les hommes, sont pour la plupart, père au foyer et ceux qui travaillent, ont des professions peu considérées ou liées à la beauté comme coiffeur. Ah oui, j’oubliais de préciser, dans cette société, ce sont les hommes qui sont obnubilés par la beauté, le paraître et la mode. Ils suivent les tendances, lissent leur barbe, portent des robes chasubles avec ballerines assorties. Le canon de beauté : l’homme joufflu avec bedaine ! Aux femmes, la musculature, le cigarillo à la bouche et la démarche de «bonhomme », aux hommes la grâce, la sensiblerie et la danse. Aux femmes, le respect, aux hommes, les mains aux fesses.


En Egalie, on encourage la natalité alors quand une femme tombe enceinte, elle perçoit son salaire dans la totalité, une allocation grossesse, une prime « bébé » et une indemnité journalière pour l’allaitement.


Ruth Brame dirige l’Egalie tandis que son mari Kristoffer s’occupe de leur foyer. Alors que leur fils, Petronius, 15 ans, s’apprête à faire ses débuts au bal des débutants, il annonce à ses parents son rêve de devenir marine-pêcheuse. Un métier impossible pour un homme car trop sensible pour pêcher et surtout avoir un homme à bord, cela porte malheur.


L’entrée dans l’adolescence est dure pour Petronius. Il est grand, maigre et timide. Il ne coche aucun des critères de beauté et il est également tiraillé entre son envie d’être père et son souhait de s’émanciper. Petronius tombe ainsi amoureux d’une marine-pêcheuse, Rosa, et dans le même temps, il rejoint un mouvement masculiniste créé avec l’aide de leur professeur, Mademoiseau Tapinois. Petronius devient un activiste engagé dans la lutte masculiniste à Egaleville. De nouvelles idées entrent dans le débat : un salaire pour les hommes au foyer, l’égalité hommes-femmes.


Un roman innovant et original, qui fait autant rire que réfléchir.


Un livre qui retourne la situation. En Egalie, ce sont les hommes qui se sentent opprimés, qui se battent pour la reconnaissance de leurs droits, pour pouvoir avoir accès à des postes importants, et ne pas avoir la charge de la contraception qui repose essentiellement sur eux. Une écriture qui renverse les codes de la langue avec l’inversion de la règle, « le masculin l’emporte sur le féminin ». On ne parle plus « d’êtres humains » mais « d’êtres fumains ». On ne dit plus « gens » mais « gentes ». C’est le « Elle » qui prédomine dans ce récit. La traduction est brillante !


Le roman est dense et traite de nombreux sujets : l’égalité hommes-femmes, les stéréotypes et les pensées manichéennes qui existent encore, le sexisme, les violences, les luttes reprises par les partis politiques lors des élections pour récupérer un électorat. Une histoire dont on ressort grandi !


L’histoire peut paraître féministe mais fait réfléchir sur l’évolution des droits et les inégalités et violences qui persistent encore. Avec humour, l’auteure raconte une satire de notre société. On rit et en même temps, on reconnaît que certaines des situations décrites existent encore.


Un livre qui, bien qu’écrit il y a presque 50 ans est toujours d’actualité et certains faits de notre société résonne encore dans ce récit. Alors on sourit, on s’insurge selon les pages. On trouve les hommes bêtes de supporter tout ça et on se pose la question : est-ce que nous aussi on n’a pas baissé les bras sur certaines injustices ?


Merci aux éditions Zulma pour ce super roman !


Les passages du livre qui m’ont touché :


« Le côté conte de fées qui attire tellement les hommes perd de sa fascination pour nous. Les hommes pensent constamment que les activités des femmes sont héroïques et éclatantes. Mais la réalité est tout autre. (…) Tout ce romantisme autour des femmes qui prenaient la mer, de la vie sur le bateau, c’était une invention des hommes. »


« Ce que je veux dire, c’est qu’elle y a toujours la marque du féminin, de la femme, même si elle est question d’homme ou d’un garson. C’est ça que je trouve bizarre. »


« Je pourrais devenir linguiste. Avoir une bonne maîtresise de la langue, c’est important. Et comme ça je pourrais débarrasser notre langue de tous les mots et de toutes les tournures qui montrent que les femmes dominent la société. »


« Car d’abord, quels droits avaient actuellement les femmes dont ne jouissaient pas les hommes, si elles pouvaient se permettre de poser la question ? Un homme pouvait s’épanouir comme il le voulait, nom de Déesse de bonne Déesse ! Encore fallait-elle qu’il y mette du sien. Et c’était là que ça achoppait. Parce que les hommes ne le voulaient pas ! (…) Les hommes préféraient rester à la maison, voilà tout ! Eh bien qu’elle en soit ainsi, qu’on leur donne la permission d’être hommes au foyer ! Alors son mouvement masculiniste et lui avaient plutôt intérêt à ne pas jouer les agitateurs, car cela n’aurait qu’une conséquence pour les hommes : les culpabiliser et les dévaloriser dans leur travail. Les tâches qu’ils assumaient avaient mille fois plus de valeur que le métier exercé par les femmes quand elles brassaient de la paperasse, assistaient à des réunions et prenaient des décisions importantes pour l’avenir du pays. Oui, c’était nettement plus précieux. Nettement plus fondamental. Qui plus est, les hommes étaient bien plus doués que les femmes pour s’occuper des enfants. »


« Et selon les normes en vigueur dans notre société, l’homme de la classe dominante incarne l’idéal masculin : mou, gros et gras, maquillé comme une voiture volée et habillée comme une gravure de mode, mais sans libre arbitre et incapable de penser par lui-même. Voilà à quoi les hommes sont censés ressembler ! Nous devons être gros et gras pour souligner la valeur que nous avons en tant que poupons de luxe. »


Et vous, quel passage vous a parlé ?

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